Réseaux sociaux : les interdire  ?

Alors que plusieurs pays envisagent d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de 16 ou 15 ans, en France, le débat agite la sphère politique.

De nombreux experts s’accordent à dire que la prohibition n’est pas la solution. Interdire les réseaux sociaux reviendrait à « faire l’économie de vraies politiques publiques plus vastes sur la jeunesse » selon la sociologue Claire Balleys, et à « renoncer à son rôle d’éducateur ». 

Des risques avérés

hyperconnexion

L’inquiétude des parents, des professionnels de santé et de jeunesse et des pouvoirs publics est légitime face à l’intensité des usages numériques juvéniles.  

La problématique est d’autant plus aiguë pour les plus jeunes car l’accès aux réseaux sociaux est de plus en plus précoce. Une enquête de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) révèle : la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi. Bien que les plateformes l’interdisent en théorie, 63% des moins de 13 ans avaient un compte sur au moins un réseau social en 2021. 

cnil.fr, le site ressource pour professionnels et particuliers de la Commission nationale de l’informatique et des Libertés

Les études de l’Observatoire des pratiques numériques des adolescents en Normandie (OPNAN, dirigé par Jehel et Meunier) montrent une inscription particulièrement précoce sur TikTok : en 2024, près de 29 % des filles et 17 % des garçons ont créé leur compte à 11 ans ou avant. 

Cette hyperconnexion a des impacts physiologiques préoccupants, notamment en favorisant la sédentarité (66% des 10-17 ans passent deux fois plus de temps devant leur écran qu’en activité physique) et en perturbant le sommeil par la lumière bleue des écrans. 

Le smartphone est l’équipement dominant chez 98% des Seconde.

Les 16-25 ans y consacrent entre une et trois heures par jour pour plus d’un tiers d’entre eux.

23% y passant même plus de cinq heures.

Pour 88% de cette tranche d’âge, il est difficile de s’en passer. 

Santé mentale

Sur le plan psychologique, les plateformes peuvent gravement nuire à la santé mentale : 

  • cyberharcèlement / violences numériques : près d’un jeune sur deux a été confronté à des images violentes ou choquantes. Le cyberharcèlement est en forte croissance, touchant davantage les filles (21% contre 13% des garçons). Les filles se montrent deux fois plus inquiètes que les garçons face aux atteintes à la personne (harcèlement, menaces, moqueries). Les problèmes sont rencontrés le plus souvent sur Instagram (41%) et TikTok (36%)
  • santé mentale / image de soi : Les réseaux sociaux encouragent les comparaisons défavorables (42% des sondés) et peuvent générer anxiété et stress (31%). L’estime de soi est influencée par les standards de beauté véhiculés, ce qui accentue les troubles du comportement alimentaire (TCA), avec un risque 2,2 à 2,6 fois plus élevé chez les jeunes hyperconnectés
  • contenus inappropriés : les jeunes sont exposés à des contenus haineux, discriminatoires, et même pornographiques (plus de 47% des 15-24 ans ont déjà regardé des contenus pour adultes).

L'évolution de la Loi : une majorité numérique en attente d'application

Face à ces dangers, la France a adopté la loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique à 15 ans pour l’inscription sur les réseaux sociaux (notre article sur cette actualité).

Cette loi prévoit :

  • l’obligation pour les plateformes de refuser l’inscription aux moins de 15 ans sans l’accord d’un parent,
  • d’informer sur les risques,
  • d’activer un dispositif de contrôle du temps passé en ligne.

La Commission européenne a également lancé des procédures et travaille sur des solutions techniques pour la vérification de l’âge des utilisateurs. 

Cependant, la loi française de 2023 n’est pas encore appliquée en l’absence de décret d’application et d’aval européen. De plus, la notion même de « majorité numérique » est perçue comme floue par les jeunes. 

Le dilemme est clair. Comme le souligne Clara Chappaz, en août 2023, la Commission européenne estimait que la législation « ne devrait pas pouvoir s’inscrire sur un réseau social sans l’accord d’un parent ». Pourtant, la journaliste N.Daam met en garde contre l’interdiction, convaincue que cette mesure dirigerait les adolescents « dans des recoins encore moins réglementés que TikTok » en quête de sociabilité. 

Les usages positifs : un espace de lien social, d’information et de citoyenneté

Si les risques sont nombreux, les enquêtes et rapports insistent sur la richesse et la diversité des pratiques numériques juvéniles. Les experts estiment qu’il est essentiel de ne pas « diaboliser » ces outils. 

Maintien du lien social et soutien émotionnel

L’usage principal des réseaux est la sociabilité.

Pour beaucoup d’adolescents, « c’est plus facile de se confier à distance ». Les plateformes permettent de « tisser les liens » et de communiquer avec les proches. Elles sont des espaces d’expression et de reconnaissance sociale, notamment pour les communautés autour des questions identitaires ou d’orientation sexuelle.

La sociologue Sophie Jehel rappelle que l’erreur est de considérer les réseaux comme un monde « virtuel », car les échanges sont « parfaitement réels » dans leur impact émotionnel. 

Information et éducation aux médias

Internet est une source d’information importante :

  • Les adolescents suivent l’actualité, souvent sur les réseaux socio numériques.
  • Beaucoup d’entre eux s’informent auprès d’influenceurs reconnus, comme Hugo Décrypte, dont l’audience est majeure chez les élèves de Seconde.

L’usage positif inclut la recherche d’informations utiles (45% des 16-25 ans).

Par ailleurs, certains comptes d’influenceurs se distinguent par leur engagement civique ou environnemental, à l’instar de Féris Barkat (Banlieue climat). 

Engagement et créativité

Les réseaux sociaux sont un levier pour l’apprentissage, le partage de connaissances et la mobilisation citoyenne : 

  • 40% des 18-30 ans s’engagent en signant des pétitions ou en défendant une cause sur un média social.
  • Des phénomènes comme #Booktok sur TikTok montrent même comment les réseaux peuvent susciter l’attrait pour la lecture. 

Accompagnement, éducation, régulation ciblée

L’idée générale qui se dégage des travaux de recherche est que l’interdiction est une solution de facilité. Interdire ne prépare pas les jeunes à leur vie future dans un monde algorithmique. 

Anne Cordier, spécialiste des usages numériques, plaide pour développer une « politique ambitieuse d’éducation au numérique » pour toucher les adolescents avec  « confiance ». 

Plutôt que l’interdiction, les experts recommandent un meilleur accompagnement.

Les cours d’éducation aux médias et à l’information (EMI) sont appréciés et renforcent le sentiment d’être capable de mieux s’informer et de repérer les fausses nouvelles. L’accompagnement doit permettre aux jeunes de « s’en servir au mieux et intelligemment » et d’apprendre à interagir avec l’algorithme. 

Des dispositifs comme les Promeneurs du Net, qui maintiennent une présence éducative en ligne pour sensibiliser les jeunes aux risques et inculquer les bonnes pratiques, montrent la voie d’un encadrement non coercitif. L’enjeu, comme le résume Virginie Sassoon, directrice adjointe du Clémi, est de dépasser « une attitude qui oscille entre la panique et la culpabilité » pour instaurer un dialogue constructif. 

L’ultime question posée par l’ouvrage Faut-il interdire les réseaux sociaux aux jeunes ? (sous la direction de Serge Tisseron, avec les contributions de Grégoire Borst, Anne Cordier et Nadia Daam) est celle des alternatives désirables. Plutôt que de recourir à l’interdiction, l’urgence citoyenne est de promouvoir des espaces publics – en ligne et hors ligne – où la jeunesse pourrait se retrouver avec plaisir dans un cadre attrayant et sécurisant. Cet accompagnement doit permettre aux jeunes de « voler de leurs propres ailes » dans les mondes numériques.  

Présence éducative en ligne, le dispositif des Promeneurs du Net est un dispositif soutenu par les CAF 

L’ultime question posée par l’ouvrage Faut-il interdire les réseaux sociaux aux jeunes ? (sous la direction de Serge Tisseron, avec les contributions de Grégoire Borst, Anne Cordier et Nadia Daam) est celle des alternatives désirables.

Plutôt que de recourir à l’interdiction, l’urgence citoyenne est de promouvoir des espaces publics – en ligne et hors ligne – où la jeunesse pourrait se retrouver avec plaisir dans un cadre attrayant et sécurisant.

Cet accompagnement doit permettre aux jeunes de « voler de leurs propres ailes » dans les mondes numériques.  

Podcast de France Culture « Un monde connecté » partage les dernières recherches sur toutes les questions de numérique. 

La CNIL

Commission nationale de l’informatique et des libertés

Internet sans crainte

Programme national de sensibilisation des jeunes au numérique

Le Clémi

Le centre pour l’éducation aux médias et à l’information, un service du réseau Canopé à destination des éducateurs et éducatrices

Info Jeunes Bretagne – Octobre 2025

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